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Archives de janvier, 2013

Les processus de la lecture et la «dyslexie» visuelle ou de surface – 2ème partie

La lecture globale ou lexicale

Photo JPL-blogueLa lecture compétente met essentiellement en jeu la procédure globale ou lexicale de lecture qui assure une lecture fluente et un accès «direct» au sens. Elle consiste à reconnaître la forme orthographique du mot et à retrouver immédiatement en mémoire sa forme orale (ou phonologique), l’évocation du sens du mot s’effectuant simultanément, qui constitue le but ultime de toute lecture.

La voie globale ou éidétique (=photographique) ou la voie d’adressage), à la fois plus automatique et plus rapide, court-circuiterait la voie par assemblage, plus contrôlée et plus lente. La plupart du temps, le lecteur-expert n’utiliserait donc pas de connaissances phonologiques pour reconnaître des mots écrits. En pathologie, l’observation d’une double dissociation entre dyslexie de surface et dyslexie phonologique chez des patients cérébro-lésés constitue un argument neuropsychologique favorable à l’existence de deux procédures autonomes pour la reconnaissance des mots écrits (Coltheart, Masterson, Byng, Prior & Riddoch, 1983 ; Funnell, 1983 ; Shelton & Weinrich, 1997). De nombreux travaux soutenant ce type de modèles ont par ailleurs insisté sur le caractère optionnel du code phonologique en lecture (Peereman, 1991, pour une revue).

Coltheart M, Masterson J, Byng S, Prior M, Riddoch J. Surface dyslexia. Q J Exp Psychol A. 1983 Aug;35(Pt 3):469-95.
Funnell E. Phonological processes in reading: new evidence from acquired dyslexia. Br J Psychol. 1983 May;74 (Pt 2):159-80.                     
Weinrich M, Shelton JR, McCall D, Cox DM. Generalization from single sentence to multisentence production in severely aphasic patients. Brain Lang. 1997 Jun 15;58(2):327-52.
Peereman R. Phonological assembly in reading: lexical contribution leads to violation of graphophonological rules. Mem Cognit. 1991 Nov;19(6):568-78.

Quand l’enfant devient apte à reconnaître un mot comme une entité, il construit progressivement  son lexique orthographique. Le fonctionnement de ce lexique est encore incomplètement connu, mais il semble se faire à la manière d’un dictionnaire auquel on se référerait pour chaque mot à lire, selon une procédure de type «photographique», permettant une identification rapide (d’autant plus rapide que le mot est plus familier) puis un accès immédiat au sens.

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Cette procédure orthographique se développe ensuite pour devenir de plus en plus efficace au fur et à mesure que la lecture devient de plus en plus compétente. Au bout du compte, le lecteur adulte n’utiliserait pratiquement plus que la procédure «photographique», ce qui est évidemment beaucoup plus rapide et économique que de passer par l’assemblage des formes sonores (qui reste cependant nécessaire lorsqu’on doit lire, par exemple, des mots nouveaux, ou sans signification, ou encore des mots d’une langue étrangère).

http://www.coridys.asso.fr/pages/base_doc/txt_habib/entree.html

Imaginez un enfant qui lit la phrase suivante :

«La locomotive arrive à la gare» versus

«la-lo-co-mo-ti-ve-ar-ri-ve-à-la-gare».

Dans le premier cas, l’enfant reconnaît immédiatement les mots et comprend ce qu’il lit.  Dans le deuxième cas, l’enfant ne lit pas des mots mais des syllabes une à une. Difficile de comprendre rapidement ce qui est lu.

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La dyslexie de surface

La dyslexie de surface, dans sa forme pure, se caractérise par une atteinte sélective de la lecture des mots irréguliers alors que la lecture des mots réguliers et des pseudo-mots est relativement préservée. Cette difficulté sélective  à lire les mots irréguliers traduit un dysfonctionnement de la procédure lexicale de lecture.

Ces enfants ne présentent pas de troubles associés du langage oral ; ils ont de bonnes capacités de mémoire verbale à court terme et de travail et une bonne conscience phonémique. Ils présentent par ailleurs des difficultés de traitement visuel qui se manifestent fréquemment par des difficultés à comparer des séquences de lettres ou à identifier des cibles parmi d’autres.

On dit que les formes pures de dyslexies de surface sont relativement rares en clinique. Par contre, je puis vous assurer que dans ma pratique optométrique, ces enfants sont beaucoup plus nombreux que ne le montrent les statistiques.

La dyslexie visuo-attentionnelle

Il existe aussi, selon certains auteurs, une autre forme de dyslexie, la dyslexie dite «visuo-attentionnelle» où l’enfant possède une bonne mémoire de l’orthographe des mots et est capable de transcrire les sons en lettres. Par contre, le type d’erreurs rencontrées dans ce trouble dyslexique correspond à des inversions dans les groupes de lettres, des omissions, des ajouts, des reformulations approximatives, des sauts de lignes.  L’enfant peut confondre des lettres et des mots avec d’autres leur ressemblant étroitement. Il s’agirait d’un trouble affectant l’attention nécessaire à l’activité de lecture.

(In : http://www.ac-grenoble.fr/ia73/spip/IMG/pdf/dys_apedys.pdf)

Ces enfants ont alors des problèmes oculomoteurs (mouvements des yeux) et de discrimination visuelle, des difficultés quant à l’attention visuelle, des difficultés à recopier du matériel.

Il est cependant difficile de concevoir qu’un enfant qui présente un problème visuo-attentionnel sérieux ne montre pas une dyslexie de surface. Il existe assurément une relation très étroite entre la dyslexie de surface et la dyslexie visuo-attentionnelle puisqu’un problème visuo-attentionnel empêche l’établissement d’un lexique orthographique adéquat. Ce sont peut-être aussi des manifestations différentes du même problème qu’est la «dyslexie visuelle». Cette relation étroite entre les problèmes visuo-attentionnels et la dyslexie de surface est renforcée par les progrès significatifs en lecture et en orthographe constatés chez un enfant dyslexique de surface à la suite d’une rééducation ciblée sur les capacités de traitement visuel (Valdois et Launay, 1999)

Valdois S, Launay L. Évaluation et rééducation cognitives des dyslexies développementales: illustration à partir d’une étude de cas.  In : La rééducation neuropsychologie : Études de cas. AZOUVI P, PERRIER D, VAN DER LINDEN M (eds). Marseille, Solcoll, 1999 : 95-116).

Habiletés visuelles et perceptuelles nécessaires pour s’assurer d’une bonne lecture globale

Il est sans doute inutile d’affirmer que les meilleurs lecteurs sont ceux qui lisent de façon globale, leur méthode de lecture est rapide ainsi que leur compréhension. Mais quelle est la conduite à adopter si un enfant exploite peu ou mal son lexique orthographique? Il faut s’assurer que les habiletés visuelles et perceptuelles soient adéquates. Sinon, un traitement de rééducation visuelle sera nécessaire pour les améliorer, les parfaire.

Quelles sont les habiletés qui ont une relation étroite avec le développement du lexique orthographique? D’abord, les mouvements des yeux : lire nécessite un déplacement constant des yeux le long de la ligne de texte, ce qui s’effectue par des séries de sauts brefs (saccades) entrecoupées de pauses plus longues pendant lesquelles prend place toute la prise de l’information visuelle. Ces sauts entre les fixations sont très brefs, d’environ un trentième de seconde. Les fixations durent environ 250 à 300 ms. Les saccades sont aussi un indice de l’attention visuelle. Nous disposons de tests qui évaluent la vitesse, la précision et la fluidité de lecture. Les problèmes de mouvements oculaires entravent le bon apprentissage et la qualité de lecture (impossibilité de suivre un texte, perte de la place, saut de mots ou de lignes, etc.).  Pour qu’une lecture soit efficace, les mouvements oculaires doivent être souples, rapides et précis.

Puis l’attention et la concentration visuelle permettent de demeurer concentré et attentif aux moindres détails de ce qu’on voit et ce, aussi longtemps que nécessaire. L’attention et la concentration visuelles sont la base de la discrimination visuelle. De plus, l’attention visuelle serait le lien entre la perception (rendre l’information disponible) et la cognition (utiliser cette information). Elle nous assure une réception maximale de toutes les informations en provenance de notre environnement visuel. La concentration visuelle favorise une utilisation maximale de la mémoire de travail pour percevoir, enregistrer, rechercher et traiter les informations pertinentes. Elle facilite le travail et surtout le rendement intellectuel.

La mémoire visuelle à court terme et séquentielle permettent de reconnaître un item après une brève exposition, ou de se rappeler d’items dans le même ordre ou dans la même séquence. Par exemple, se rappeler l’ordre des lettres dans un mot ou de mots dans une phrase aide à une compréhension plus rapide. Les enfants qui montrent des difficultés dans la mémoire visuelle séquentielle peuvent avoir des difficultés à copier efficacement des informations du tableau ou d’une autre page, à apprendre à lire des mots ou des phrases et de se rappeler de ce qu’ils ont lu. Ils peuvent aussi avoir des difficultés à se créer un vocabulaire lexical qui à son tour, affectera la fluence et la compréhension de texte.

La visualisation est la capacité de créer des images d’un mot, d’une phrase ou d’un paragraphe dans notre tête (notre tableau mental). Cela assure une bonne compréhension de ce qui est lu et permet une meilleure organisation des informations pour les retenir plus facilement et construire le lexique orthographique. Cette habileté perceptuelle est aussi essentielle en calcul mental et en épellation de mots. Lire une histoire sans pouvoir visualiser la scène décrite dans un texte influence la compréhension contextuelle lors de la lecture.

En résumé, les yeux doivent donc bouger efficacement pour que l’entrée de l’information soit de qualité, l’enfant doit être attentif et pouvoir demeurer concentré sur ce qu’il lit. Sa mémoire visuelle va aussi lui permettre de reconnaître les mêmes mots dans un texte. Plusieurs enfants ne peuvent construire un lexique orthographique car ils ne savent pas même reconnaître un mot qu’ils viennent de lire et qu’ils rencontrent de nouveau quelques lignes plus bas. La visualisation permet à l’enfant de «jongler avec les mots» dans sa tête». Et enfin, c’est la pratique de la lecture à tous les jours qui assure la meilleure efficacité en lecture. Plus on voit les mots souvent, plus vite ils seront inclus dans le lexique orthographique.

Conclusion

Selon les recherches scientifiques, trois habiletés fondamentales (entre autres) vont donc influencer directement la lecture globale chez l’enfant : la mémoire visuelle, l’attention visuelle et la visualisation. Les meilleurs lecteurs sont capables d’une reconnaissance globale des mots (par la voie d’adressage ou la lecture eidétique ou globale). La lecture globale accélère le décodage visuel, requiert moins d’énergie et favorise la compréhension. La lecture par la voie phonologique ralentit le processus de lecture et ne garantit pas la compréhension adéquate d’un texte. Les meilleurs lecteurs ont dépassé le stade de la conscience phonologique et peuvent reconnaître la majorité des mots sans avoir à les décortiquer. C’est pourquoi nous avons développé une portion particulière de notre rééducation visuelle pour parfaire ces habiletés perceptuelles. Nous tentons ainsi de mieux développer la lecture globale pour améliorer la lecture et la compréhension.

Les processus de la lecture et la «dyslexie» visuelle ou de surface – 1ère partie

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Plusieurs auteurs affirment que la véritable dyslexie est dite une dysfonction «neurologique» (bien sûr, on lit avec le cerveau, pas seulement les yeux !) marquée par l’incapacité des centres du cerveau à décoder efficacement les mots écrits ou de faire le lien phonétique entre les symboles écrits et leurs sons appropriés. La connotation du mot «neurologique» peut prêter à confusion : celui-ci s’apparente trop facilement au concept de maladie du système nerveux. La dyslexie peut être la manifestation de dysfonctions mais sûrement pas une maladie!

L’origine de ce problème, encore débattue ardemment dans la littérature, est sans doute multi-causale. Il est malheureux que les chercheurs ne se penchent à chaque fois que sur un petit aspect de la dyslexie lors de leurs études. On sait aussi que pas tous les enfants qui ont du mal à lire, cependant, ne souffrent de problèmes de traitement phonologique. Bien que les symptômes soient similaires, il peut aussi y avoir des problèmes visuels et perceptuels qui interfèrent avec un apprentissage adéquat, et pas seulement un déficit fondée sur le langage, comme voudraient le faire croire certains…

Margaret Livingstone et coll., du Département de Neurobiologie, au Harvard Medical School et au Laboratoire de recherche sur la dyslexie, au Beth Israel Hospital de Boston rapporte qu’un déficit dans le traitement visuel joue un rôle important dans la grande majorité des enfants qui ont du mal à lire: «Plusieurs études perceptuelles ont suggéré que l’information visuelle des sujets dyslexiques est traitée plus lentement que chez les sujets normaux. Ces anomalies visuelles sont présentes dans plus de 75 % des enfants ayant un problème de lecture».

Livingstone MS, Rosen GD, Drislane FW, et al. Physiological and anatomical evidence for a magnocellular defect in developmental dyslexia. Proc Natl Acad Sci USA 1991; 88:7943-7.

D’ailleurs, tous  les  enfants  ayant  des  difficultés à  l’école primaire ne sont pas dyslexiques et vice versa. Un enfant peut être dyslexique sans pour cela être en échec prolongé (en particulier si la dyslexie est légère et si elle peut être compensée par le développement d’autres aptitudes intactes).

Il existe essentiellement un problème de définition clinique de la dyslexie. Chacun y va de sa propre définition et les tests utilisés pour le diagnostic d’une telle condition ne conduisent pas toujours à un diagnostic clair… L’imprécision dans le diagnostic peut d’ailleurs certainement expliquer la grande variabilité des taux de prévalence relevés dans la littérature (ce taux en effet peut passer de 4 % (Yule et Rutter, 1974) à 20 % (Shaywitz, 1996)).

Yule W, Rutter M, Berger M, Thompson J. Over- and under-achievement in reading: distribution in the general population. Br J Educ Psychol. 1974 Feb;44(1):1-12. 

Shaywitz SE. Dyslexia. Sci Am. 1996 Nov;275(5):98-104.

Un enfant du début du primaire peut avoir quelques difficultés pour apprendre à lire, cette situation est fréquente et il n’est pas question de tomber dans l’excès et de mettre à tous ces enfants une étiquette de «dyslexie».

Les processus de décodage de la lecture : le modèle à double voie

Le modèle à double voie est très fréquemment utilisé comme modèle de référence pour le décodage lors de la lecture. Ce modèle postule l’existence de deux procédures intervenant tant en lecture qu’en écriture.

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Le modèle à double voie de lecture

http://www.cognisciences.com: Outil de Dépistage des Dyslexies – Odedys2 – 2009

Procédure phonologique

La voie phonologique (ou voie d’assemblage), se caractérise par un traitement analytique séquentiel ou syllabique du mot ou du pseudo-mot (mot inventé). Elle met en jeu un système de règles de conversion graphème (une ou deux lettres, parfois trois) – phonème (le son correspondant) apprises explicitement à l’école.

Le mot « chameau » lorsqu’il est traité via ce système fera l’objet d’une segmentation en graphèmes <CH-A-M-EAU>, puis à chaque graphème sera attribué  le phonème qui lui est le plus fréquemment associé dans la langue (CH -> /S/; A -> /a/; M -> /m/; EAU -> /o/). Cela permet de générer la séquence du mot.

Seule la voie phonologique permet le traitement des mots nouveaux (mots non appris précédemment ou « pseudo-mots » qui sont des mots inventés pour les besoins de l’expérience ; exemple : verdulin, clavoir, dispante).

Dans la mesure où le traitement des mots nouveaux est spécifiquement dédié à ce système, des listes de pseudo-mots sont systématiquement proposées en lecture et en dictée aux enfants présentant des difficultés afin de tester l’intégrité de la voie phonologique. Une bonne performance en lecture ou dictée de pseudo-mots indique que la voie phonologique est opérationnelle, une performance médiocre suppose une atteinte de cette voie.

On sait que la voie analytique (phonologique) tient une place prépondérante en début d’apprentissage dans la mesure où elle est chronologiquement la première. Si l’on conçoit que  chez l’adulte les deux voies sont relativement autonomes, il semble peu plausible que ces deux voies soient aussi distinctes chez l’enfant en apprentissage.

Procédure lexicale ou éidétique

La procédure lexicale (ou voie d’adressage), effectue un traitement simultané de tous les éléments du mot. L’ensemble des unités qui composent le mot est traité en parallèle conduisant à l’activation de connaissances mémorisées sur la forme orthographique ou sonore des mots appris précédemment. L’enfant voit le mot et le comprend instantanément.

En lecture, et après traitement visuel, la représentation orthographique (globale) du mot est activée au sein du lexique orthographique (le «dictionnaire dans notre tête») et donne un accès très rapide à la forme sonore (phonologique) correspondant à ce mot et à son sens. Pas besoin de décoder le mot syllabe par syllabe.

Le fonctionnement de ce lexique est encore incomplètement connu, mais il semble se faire à la manière d’un dictionnaire auquel on  se référerait pour  chaque mot à lire,  selon une procédure de type «photographique», permettant une identification rapide (d’autant plus rapide que le mot est plus familier) puis un accès immédiat au sens.

Chacune des deux procédures de lecture (ou d’écriture) est mise en œuvre spécifiquement pour le traitement de certains types de mots: la voie lexicale ne peut traiter que les mots déjà appris dont les représentations sont disponibles au sein du lexique orthographique et de sa correspondance phonologique. Elle est indispensable à la lecture ou à l’écriture des mots irréguliers qui ne se prononcent pas comme ils s’écrivent (ex: monsieur, toast). Cette particularité des mots irréguliers qui ne peuvent être traités que par la voie lexicale est utilisée lors de l’évaluation des enfants présentant des troubles d’apprentissage de la lecture. Des listes de mots irréguliers leur sont systématiquement proposées afin de tester l’intégrité de la voie lexicale : une bonne performance lors de la lecture de ces mots montre que la procédure lexicale est opérationnelle; une performance faible en lecture de mots irréguliers comparée à la lecture des mots réguliers ou des pseudo-mots suggère une défaillance de la procédure lexicale.

(suite dans le prochain blogue)